ego en société

Peut-on (encore) rire de tout ?

Pas si sûr !

Les vannes pourries ne son plus franchement dans l’air du temps et le pouvoir des associations ou des réseaux sociaux contient le courage des humoristes, des chaines de télévision et des stations de radio, par peur du procès ou de l’effet désastreux sur leur image et leur capital sympathie. Est-ce à dire que ces forces vives et numériques instituent un nouvel ordre moral ? San doute un peu… Dans l’absolu, le rire n’est, pourtant, ni bienveillant ni malveillant ; il aide à dépasser les angoisses, les traumatismes.

Quand Desproges disait qu’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui, il avait surement vu juste ! Il y a 30 ans, les blagues racistes ne choquaient pas ; aujourd’hui on les tolère difficilement, signe d’une société plus policée, mais aussi plus respectueuse et soucieuse d’accepter les différences.

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Tout est évidemment une question de dosage.

Respectivement neuropsychiatre et professeur de psychopédagogie, Boris Cyrulnik et Bruno humbeeck ont étudié l’humour et abondamment publié sur le sujet. Pour Bruno Humbeeck, la règle est simple : « rire pour dénoncer ou caricaturer un système, oui, mais pas pour se moquer d’une personne. Singularisé, le rire devient automatiquement plus difficile à générer, et à gérer. »

Boris Cyrulnik évoque en outre la difficulté de rire à propos de la religion ou du sacré. Chez certaines personnes, le sentiment de blasphémer est un frein automatique, une sorte de régulateur personnel. En clair, si la blague est prétexte à stigmatiser ou rabaisser, elle peut alors se condamner.

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Mais qu’est ce que le rire ? À quoi sert-il ? Cela fait plus de 2000 ans qu’il est décrypté.

Platon le considérait comme politiquement dangereux. Néron, qui en connaissait le côté contagieux, utilisait une variante des rires en conserve pour s’assurer que le public réagisse avec l’enthousiasme de rigueur. Quant au neurobiologiste américain Robert Provine, l’un des plus éminents chercheurs en la matière, il planche scientifiquement sur la question depuis 25 bonnes années. Non pas pour comprendre ce qui fait rire. Mais plutôt pour cerner l’origine du rire dans l’évolution et découvrir quelles parties du cerveau nous permettent de le reconnaitre et de le produire. en bon scientifique, Robert Provine a d’abord équipé son laboratoire d’une importante collection de films drôles, puis il est parti à la chasse au rire dans les salles de cinéma, les cafétérias d’entreprise, les cabarets. Il a aussi travaillé avec des acousticiens pour définir précisément, en laboratoire, ce qu’est un rire humain et pouvoir le comparer au rire, très différent, du chimpanzé. L’hypothèse posée est étonnante, voire fascinante. Pour pouvoir rire, croit-il, l’homme a dû d’abord apprendre à se tenir debout ! Le rire, assure t-il, n’est finalement pas entièrement une affaire d’humour. C’est aussi une affaire relationnelle : « un lien entre les gens, le ciment d’un groupe, écritil. Au Moyen-Âge, on riait pendant les exécutions publiques, et pas parce que la foule trouvait la torture drôle… encore aujourd’hui, on signale des cas de massacre où les assaillants rient. Le rire est un instrument de cohésions, et le meilleur déclencheur du rire, c’est le rire des autres. On entend rire, et on rit soi-même. Je crois que c’est profondément lié dans le cerveau« .

Autre avancée : le rire n’est pas le propre de l’Homme. Quand celui-ci rit, la même expiration sert à émettre plusieurs « ha ». Le chimpanzé, lui, halète, car il est incapable de diviser son expiration et doit respirer entre chaque son ; d’où l’halètement si caractéristique que l’on connait tous.

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Quant à savoir si le rire est bon pour la santé. Les médecins auraient plutôt tendance à répondre par l’affirmative.

Alors qu’un enfant rit en moyenne 300 à 400 fois par jour, l’adulte ne rirait que 20 fois dans sa journée. Et de moins en moins selon les études : 19 minutes en 1939, 6 minutes en 1983 et moins d’une minute à l’heure actuelle. Concrètement, le rire a des répercussions sur la douleur en augmentant la production de catécholamnies, des anti-inflammatoires aux propriétés antidépressives, mais aussi sur la digestion, car il provoque une gymnastique abdominales qui favorise une bonne régulation du transit intestinal et sur le système immunitaire. Le rire, enfin, détend grâce au sentiment de convivialité qu’il induit et influenceur l’humeur, ce qui peut impacter la santé psychique. En riant, l’organisme libère des endorphines qui ont un effet antidépresseur et anxiolytique.

 

Bref, rire de tout, pourquoi pas, mais surtout rire tout court. Et pour cela, concluons sur une bonne vieille claque à un méchant stéréotype : « les hommes seraient plus drôle » que les femmes ». Le professeur américain Gil Greengross a rendu, l’an dernier, les conclusions d’une étude sur plus de 5000 participants américains, britanniques, hongrois, israéliens, allemands… Ces volontaires devaient par exemple ajouter une inscription drome à une image sans légende. Des juges indépendants notaient leurs réponses, sur une échelle de 1 à 5. Au total 63% de la gent masculine a obtenu un score supérieur à la capacité moyenne des femmes à faire des blagues, ce qui est considéré comme une différence « petite à moyenne ». « L’idée selon laquelle les femmes sont moins drôles est ancrée dans les mentalités explique Gil Greengross. Si bien qu’elles peuvent se décourager et s’empêcher de développer leur humour et surtout l’exprimer. »

Au fronton des théâtres, les femmes humoristes son heureusement de plus en plus nombreuses : Blanche Gardin en tête, et sans filtre ! Leur parole semble même plus libérée que jamais. l’annonce au service de l’indécence est un créneau qui leur sied à merveille… et replace un rire tous azimuts, tout sujets, sans tabou, sur le devant de la scène. Merci !

Par Nancy Furer

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